Dans un précédent article "Aider les sportifs avec l'IE : comment et pourquoi?", j'ai abordé l'importance pour moi du mental et de l'intelligence émotionnelle (IE) dans la performance. L'intelligence émotionnelle, c'est la capacité d'identifier ses émotions et celles des autres, de les comprendre, de les réguler et de les utiliser à bon escient. Un des points que je voulais approfondir ici est le lien entre IE et efficacité du coaching.
Sur le bord des pistes de ski, les entraîneurs cultivent une image un peu "militaire" du "marche ou crève" que sous-entend la discipline du ski alpin. Être fort, être puissant, être rapide, impose d'avoir un mental d'acier, imperméable à toutes les agressions. Un bon skieur est un dur au mal, qui peut encaisser les chutes, un dur à cuir qui n'a pas peur de se jeter sur des pistes verglacées avec une combinaison moulante, un casque, une dorsale et des gants comme seules protections en cas de chute. Hermann Maier, colosse légendaire du ski autrichien en est l'exemple parfait. Sa chute lors de la descente aux JO de Nagano en 1998 en aurait refroidi plus d'un... mais pas lui. A-t-il eu peur? Aucun journaliste n'a réussi à lui faire dire ce mot ! La peur est une faiblesse. Avoir des émotions est une faiblesse. Et confier une faiblesse est souvent perçu comme un défaut dans le sport de haut-niveau et seuls quelques néo-retraités peuvent l'avouer.
En tant qu'entraîneur de ski alpin, j'ai souvent constaté que la gestion des émotions était oubliée par notre corporation au bénéfice du physique, de la tactique ou de la technique. Dans mon article précédent "Aider les sportifs avec l'IE : comment et pourquoi?", nous avons vu le lien entre IE élevée et performance. Mais comment demander à un athlète de gérer ses émotions, si nous-même, en tant que coach, nous n'en sommes pas capables?
Une étude impliquant près d’une centaine d’entraîneurs de divers sports constate que l’efficacité du coaching est plus élevée chez les entraîneurs avec des traits d’IE plus élevés (Thelwell, Lane, Weston & Greenlees, 2008). Plus récemment, ce résultat a été confirmé dans une étude transversale avec plus de 300 entraîneurs principaux d’équipes de basket-ball de lycée (Hwang, Feltz & Lee, 2013).
Je pense avoir progressé sur cet aspect depuis quelques années. Le constat de base était sans équivoque : j'étais souvent tendu et énervé avec mes athlètes. La colère est un vrai frein pour un coaching efficace. En effet, comment faire performer un athlète en passant son temps à s'énerver et à lui crier dessus?
J'ai longtemps pensé que les émotions (comme la colère) étaient un obstacle à mon analyse, à mon jugement et à une prise de décision efficace. Pourtant, on sait aujourd’hui que c'est tout le contraire. Les émotions font office de baromètre de nos besoins, elles renferment des informations précieuses pour orienter les décisions. Les émotions servent de boussole pour nous pointer vers la bonne direction et nous aider à faire des choix, en nous indiquant ce qui nous convient ou pas, ce qui nous motive ou nous freine. En tant que coach, cela peut être un vrai atout si on apprend à ressentir, reconnaître et nommer les émotions qui nous traversent ainsi que les besoins qui en découlent.
La Colère
L'émotion sûrement la plus répandue chez les coachs. Comment gérer le retard d'un athlète à l'entraînement, l'oubli de son matériel ou son manque d'implication lors de la séance? Souvent la première réponse est de lui passer un bon "savon" pour remettre les pendules à l'heure et se sentir respecté en tant que coach. Cependant, cette technique a des effets limités dans le temps et elle ne garantit pas que cela ne se reproduise pas. Je préfère dorénavant réfléchir au besoin qui se cache derrière cette émotion et échanger sur le sujet avec mon athlète. En effet, la première chose est d'identifier cette colère en nous. Dans un deuxième temps, il faut y associer un besoin, en l’occurrence notre cerveau veut très souvent nous faire passer un message simple : "j'ai besoin que mes valeurs soient respectées".
L'exemple qui me vient à l'esprit est un skieur qui arrive à l'entraînement avec des skis en mauvais état (les carres mal affûtés, c'est-à-dire impossible pour lui de faire des virages sur la glace sans déraper). Sentant la colère monter, j'ai dit à ce jeune que la neige était verglacée et que je souhaitais qu'il s'échauffe un peu avant de lui parler. Ainsi, il allait se rendre compte par lui-même de son erreur et je me laissais un peu de temps pour que la pression retombe. Lorsqu'il est revenu, j'ai pu lui demander son ressenti de l'échauffement. Ayant eu beaucoup de difficulté à skier correctement, je lui ai dit que je ne trouvais pas normal qu'il se retrouve dans cette situation au vu de ses objectifs et de son programme de préparation. Je lui ai fait part d'une valeur forte à mes yeux : "la préparation du matériel" et l'importance qu'un skieur doit lui consacrer. La leçon a été retenue car il a compris que c'était important pour moi.... et pour lui.
Le problème concret auquel j'ai été confronté en mettant en application cette gestion des émotions est que la colère a trop souvent tendance à faire osciller le coaching entre autorité et laxisme.... On passe de l'un à l'autre et on a dû mal à trouver l'équilibre.
Personnellement, je me suis fortement inspiré du concept de DISCIPLINE POSITIVE. Cette conception est pour moi, un vrai reflet de notre IE. Elle permet d'être à la fois ferme et bienveillant... et ce n'est pas antinomique ! La discipline positive désigne une méthode éducative mise en place dans certaines écoles à partir d'un principe fondamental : il n'existe pas de mauvais enfant, mais des enfants qui agissent mal. Ce modèle permet de rétablir l'autorité tout en évitant le conflit.
Pour développer mon IE, j'ai ainsi pu mettre en application 5 petites astuces et intégrer la discipline positive dans la cadre de mon coaching.
1. Être le miroir du sportif: Plutôt que de reprocher une chose au sportif, il est judicieux de lui de décrire ce que vous voyez en formulant une phrase telle que celle-ci : « Je vois que tes carres ne sont pas affûtés et la neige est très verglacée aujourd'hui ». Cette manière de procéder ne place pas en défaut le sportif qui va comprendre par lui-même ce qu’il doit faire. Cette notion de miroir sert également à valider les émotions (et à développer l’IE) : « Je vois que ceci te met en colère ».
2. Être attentif : Un des besoins fondamentaux du sportif est l’attention qu’on lui porte en tant que coach. Donc prenons l’habitude de leur accorder totalement. Cette attention s’exprime surtout par une attitude et par des mots. L’attitude inclut le regard et la posture d’écoute. Les mots appuient cette attitude : « je vois que… » « j’ai l’impression que tu es fatigué » « j’aime te voir skier comme ça » Si nous ne pouvons pas accorder tout de suite une attention totale au sportif, prenons 30 secondes pour lui expliquer et lui dire qu'un temps d'échange sera possible un peu plus tard. Ces 30 secondes sont souvent suffisantes pour rassurer le sportif. Notez que tenir notre promesse est essentiel.
3. Enseigner aux sportifs ce qu’ils peuvent faire : Au lieu de dire à un athlète ce qu’il ne doit pas faire, indiquons lui et montrons lui ce qu’il peut faire. Exemple : "Ne te mets pas sur l'arrière avant le saut!" deviendra "Avance tes mains et viens sur l'avant des chaussures avant le saut » ou encore "Ne te penche pas sur le ski intérieur quand tu tournes !" deviendra "Équilibre-toi sur le pied extérieur pendant le virage". On peut aussi les aider à progresser en leur posant des questions : "A quel moment prépares-tu ton matériel?". "Comment fais-tu pour .... ?"
4. Montrer sa confiance : Un sportif en qui on a confiance fait des miracles ! Si une erreur est commise, inutile de reprocher, faire la morale ou se substituer au sportif, dites-lui "J’ai confiance en toi pour faire mieux la prochaine fois". C’est en testant et en ajustant que le sportif apprend, progresse et devient autonome. Il faut alors transformer l'erreur en apprentissage.
5. Choix limités : Pour guider un sportif et augmenter son engagement, inutile de lui ordonner de faire telle ou telle chose. Proposez-lui plutôt des choix limités : "Tu préfères faire ton échauffement seul ou dirigé ?" "On va travailler nos éducatifs en les filmant ou en échangeant en bas de la piste ?" "Tu préfères regarder la vidéo seul ou avec tes camarades d'entraînement?". Cette méthode apprend au sportif à prendre des décisions et à analyser leurs conséquences. Il gagne ainsi en autonomie.
Pour conclure, je dirais que, maintenant, je coache sans (trop) m'énerver, en tout cas, je m'énerve beaucoup moins souvent et moins intensément. Un des aspects qui reste à approfondir pour gommer ce "trop" est de pouvoir décrire le plus fidèlement possible l'émotion qui me traverse. Ce n'est pas aisé et cela demande un vrai travail. En effet, il y a différents degrés d'intensité dans une émotion de base.
Est-ce que je suis furieux ou fâché? Énervé ou contrarié? Comme le dit Axel Lattuada avec beaucoup d'humour dans sa vidéo sur les émotions : "L'Intelligence Emotionnelle, c'est le langage de ton cerveau. C'est le cerveau qui te parle mais tu comprends rien à ce qu'il dit. Et quand tu comprends rien à tes émotions... tu comprends rien à ton cerveau". Les mots manquent souvent aux émotions comme le disait Victor Hugo. Réussir à les nommer et à les identifier est un vrai challenge. Mais comprendre ses émotions et donc son cerveau est une qualité fondamentale pour développer son IE et donc son leadership et son coaching.
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